23 octobre 2012

Romans, histoire et héros

HHhH, Laurent BINET
Les soldats de Salamine, Javier CERCAS
Sauver Mozart, Raphaël JERUSALMY

Publiés sous l’appellation « roman », ces trois livres explorent, de manière différente, les rapports que peuvent entretenir la fiction littéraire avec l’Histoire.

Dans HHhH, l’auteur tente de rendre hommage à deux parachutistes tchèques qui en 1942 ont perpétré l’attentat qui coûta la vie à Reinhard Heydrich, l’une des têtes de l’appareil nazi et architecte de la Solution finale. Accumulant les sources et les témoignages, le romancier doit trouver les moyens de rendre vie à tous les protagonistes de l’histoire sans pour autant les ramener au rang de personnages de fiction. Heydrich est beaucoup plus que le simple méchant du conte et les deux parachutistes méritent davantage que le statut de héros de roman. L’auteur essaye alors de coller le plus possible à la réalité des faits avérés mais s’autorise ça et là, souvent à contrecœur, de passer par la fiction mais sans romancer, pour donner vie à son récit. Quelle était l’atmosphère de Prague au moment où la ville passe sous le joug allemand ? À quoi pensait Heydrich lorsqu’il gravit les échelons du pouvoir ? Que ressent-on à la veille de commettre un attentat contre l’un des responsables de la mort de millions d’hommes et de femmes ? L’auteur fait part de toutes ses hésitations et parvient, à mesure qu’il se rapproche du centre de son histoire, à trouver le ton et la manière. Un mélange de distance et de proximité qui permet au lecteur d’être emporté dans l’incroyable histoire de cet attentat et dans celle de ses deux héros.

Mais qu’est-ce qu’un héros (ok, j'ai déjà eu des transitions plus inspirées...) ?
C’est au final la question qui ressort du roman de Javier Cercas, Les soldats de Salamine.
Un journaliste aux ambitions littéraires déçues se passionne pour un épisode secondaire de la guerre civile espagnole. Rafael Sànchez Mazas, un des fondateurs de la Phalange, échappe à la mort grâce à l’indulgence d’un soldat républicain. L’événement devient l’obsession du journaliste qui se met peu à peu à en tirer un récit de fiction: Les Soldats de Salamine. Mais la clé du livre se trouve ailleurs, non pas dans la recherche des faits ayant un lien avec les grandes figures de l’Histoire, mais dans celle des anonymes qui jalonnent les conflits, ici entre citoyens d’un même pays. Avec distance (et même humour quand il met en scène le personnage de l’écrivain), Cercas joue sur une narration à plusieurs niveaux, mélangeant sans arrêt la fiction et le réel pour créer un objet littéraire assez original qui annonce pas bien des aspects son très beau deuxième roman : À la vitesse de la lumière.

Il est également question d’héroïsme dans Sauver Mozart.
Dans un sanatorium de Salzbourg, rongé par la tuberculose, Otto J. Steiner, un vieux critique musical, voit sa dernière heure arriver au moment où l’Allemagne nazie prend possession de l’Autriche. Forcé de cacher une judéité qu’il n’a jamais vraiment considérée comme faisant part de son identité, le vieil homme est surtout mortifié par l’utilisation que le régime d’Hitler fait de la musique : des fanfares assourdissantes, des marches militaires, des épopées wagnériennes, … Otto se lance alors un ultime défi : sauver Mozart.
Ici aussi les faits et personnages historiques sont mélangés à la fiction. À travers le journal intime et la correspondance du personnage principal, nous découvrons le quotidien morbide du malade et, ensuite, le plan audacieux qu’il met en place pour ébranler les fondements du régime nazi. Un acte de bravoure extrême, d’une finesse malicieuse et inattendue.

Ces trois romans posent la question du sens de l’Histoire et interrogent sur la manière de la raconter, jouant habilement entre le particulier et le collectif. Trois manières également de s’interroger sur le rôle de la littérature et sur le pouvoir de la fiction face au passé.

Références :
HHhH, Laurent BINET, Le Livre de Poche, 2011
Les soldats de Salamine, Javier CERCAS, traduit de l’espagnol par Elisabeth Beyer et Aleksandar Grujičić, Babel, 2004
Sauver Mozart, Raphaël JERUSALMY, Actes Sud, 2012

9 commentaires:

  1. J'ai Sauver Mozart dans ma pile à lire, dans mes "tentations urgentes" ! Tu en auras bientôt des nouvelles, sans doute !

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    1. Je suis étonné de n'avoir pas davantage entendu parler de ce livre.

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  2. J'avoue que c'est le dernier qui me tente le plus. Le coté journal intime sans doute...

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    1. Tu n'as jamais lu Cercas? "À la vitesse de la lumière" vaut vraiment le coup.

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  3. Jamais entendu parler de "Sauver Mozart", qui a l'air tout à fait intéressant.

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  4. La thématique qui lie les trois livres m'est super interessante et m'intrigue car j'avais bien aimé le texte de Binet, justement pour ce va-et-vient entre l'histoire et "comment on fait pour la raconter sans trop se tromper, et si on se trompe, qu'est- ce qui se passe ?", par contre "Les soldats de Salamine" n'était tombé des mains. Il me reste à découvrir "Sauver Mozart". Merci du conseil.

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    1. J'ai mis les trois livres ensemble en pensant également aux collègues enseignants qui cherchent souvent des livres qui traitent d'une problématique historique.

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  5. Toujours pas lu ce Binet, mais il me tente bien...

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