7 septembre 2014

To be or not to be Shakespeare?

Will le Magnifique, Stephen GREENBLATT

Un essai passionnant sur un écrivain dont on sait bien peu de choses. Et une méthode originale : expliquer l’homme par son œuvre.

Shakespeare a connu, dès ses premières pièces, la reconnaissance de ses contemporains. Les intrigues et les personnages créés par le dramaturge ont parcouru les siècles et sont, aujourd’hui encore, présents sur toutes les scènes, faisant de lui l’un des auteurs le plus célèbre au monde. Paradoxalement, peu de choses nous sont parvenues pour en apprendre davantage sur l’homme. Des documents juridiques sur lui et ses proches, essentiellement. Ces quelques sources permettent notamment de comprendre les liens qui l’attachaient à ses enfants et, au contraire, le peu d’intérêt qu’il semblait porter à son épouse… (On est loin de la passion de Roméo et Juliette...) Nous possédons également des témoignages indirects mais jugés trop tardifs pour être pris en considération.
Stephen Greenblatt, professeur de littérature à Harvard et spécialiste de Shakespeare, tente d’éclairer les zones d’ombre de sa biographie en partant de l’œuvre, posant comme postulat que la richesse et le foisonnement des univers contenus dans les pièces devaient trouver leur source dans les expériences, les souvenirs et les questionnements de l’artiste.

[…] Shakespeare bâtit sa carrière sur une série d’usurpations d’identité compulsives, de petits larcins conjugués à une imagination sans borne. Bien que dans ses affaires personnelles il ait évité tout ce qui aurait pu le conduire à connaître le même destin que Marlowe ou Greene, il trempa sur scène dans des passions dangereuses et des idées subversives. Tout ce que la vie lui affligea de douloureux, crise d’identité sociale, sexuelle ou religieuse, il en tira bénéfice pour son art (puis fit de son art une source de profit).

Tout comme dans Quattrocento, l’érudition de l’auteur est ici mise en scène dans un essai aux allures de récit. On suit donc l’itinéraire assez exceptionnel de ce fil de gantier qui quittera sa province, sa femme et ses enfants pour partir à la conquête des théâtres londoniens. 
Les problèmes d'argent de son père, la mort de son fils (un certain Hamnet... ça ne vous dit rien, Dr. Freud?), l'emprisonnement de certaines personnes de son entourage lorsque le pouvoir royal fait la chasse aux catholiques: tous ces événements se retrouvent, d'une manière ou d'une autre, dans ses œuvres. 
D'un point de vue artistique, sans créer de véritable rupture (il s'inspire largement de ses contemporains), Shakespeare va, au fil des pièces, développer une manière de faire évoluer ses personnages et de présenter au public un condensé d’humanité, de tous les milieux, de toutes les époques, en proie aux questionnements les plus essentiels : l’amour, la mort, le pouvoir, la religion, ... Des réflexions qui, selon Greenblatt, reflètent les pensées de l'auteur à différents moments de sa vie.
En plus d’une analyse originale de certains grands classiques shakespeariens (Hamlet, Macbeth, la Tempête ainsi que certains poèmes), Greenblatt remet en contexte chacune de ses hypothèses en fonction des questions religieuses, politiques et sociales qui secouent l’Angleterre de la fin du XVIème siècle. Complots, exécutions, chasse aux sorcières, révoltes populaires, épidémies… L’époque dans laquelle a évolué l’auteur est à l’image de ses œuvres : un monde instable, fragile, toujours susceptible de voler en éclats.
Un livre passionnant, enrichissant et qui, bien entendu, donne très envie de se replonger dans l’œuvre du grand Will.

Référence :
Stephen GREENBLATT, Will le Magnifique, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie-Anne de Béru, Flammarion, 2014.

7 commentaires:

  1. J'ai très envie de le lire... Quel plaisir que Quattrocento!

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    1. Même plaisir ici dans la reconstitution de l'époque, dans la manière de donner vie à l'histoire.

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  2. C'est tentant ça... j'ai l'impression que tellement de choses m'échappent à propos de Shakespeare!

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    1. Pareil! Et au-delà de la biographie, on apprend beaucoup de choses sur ses pièces.

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  3. Déjà repéré (et j'ai bien aimé Quattrocento)

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    1. Content de voir que, pour une fois, un essai trouve le chemin des blogs.

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  4. je n'en ai entendu que du bien et à la lecture de ta chronique, je suis convaincu!

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