9 décembre 2012

(Re)Lire ses classiques #8

Me, Marcel and I

Du côté de chez Swann, Marcel PROUST

Une cathédrale de mots et d’idées impossible à résumer, de la littérature à la fois brute et raffinée à l’extrême, peuplée d’une foule de personnages : l’envie de relire Proust était là depuis longtemps.
J’avais lu la Recherche du temps perdu durant mes études, sur plusieurs années. La première fois, c’est avant tout la découverte d’un univers et, bien sûr, d’un style reconnaissable entre tous : les phrases interminables et sinueuses, les images et les correspondances qui tentent de rendre compte du cheminement de la pensée. C’est aussi une plongée dans l’époque, dans les rapports de classes, le fonctionnement de la société française du début du vingtième siècle. Et aussi ce mélange entre philosophie, psychologie et références aux arts au service d’une réflexion sur le temps, la mémoire et, souvent, l’amour. Devant cette somme colossale, j’avais souvent eu l’impression d’être enseveli sous une foule de choses qui demandent du recul et, il me semble, de la maturité. D’où l’envie de revenir, presque vingt ans après (glurps), vers ce premier tome de la Recherche, Du côté de chez Swann.
Composé de trois parties, ce premier volume nous fait découvrir, en plongeant dans les replis de la mémoire, l’enfance du narrateur, ses premières souffrances, la relation fusionnelle qui le lie à sa mère (Combray), ses rêveries ainsi que ses envies d’évasion et son premier amour (Nom de pays : le nom). Entre les deux, Un amour de Swann raconte, à la troisième personne, la douloureuse passion de Swann, un ami du grand-père du narrateur, pour une femme du demi-monde, Odette. Ce roman dans le roman est un condensé de la Recherche, reprenant des thèmes et des motifs qui se retrouvent dans le reste de l’histoire, notamment la question du rapport entre l’art et la vie, ainsi qu’une mise en abyme du comportement amoureux du narrateur. Car que cela soit avec sa mère, avec son premier amour ou auprès d’Albertine (personnage central qui habite les volumes suivants) l’amour chez Proust est synonyme de souffrance. L’être aimé apparaît comme un objet, une chose que l’on voudrait s’accaparer mais qui ne cesse de se défiler et d’échapper à l’emprise et à l’envie. Un amour de Swann peut être lu indépendamment des autres parties de la Recherche (il est d’ailleurs édité séparément dans certaines collections) et constitue une belle porte d’entrée dans l’univers de Proust.
Jacques-Emile Blanche (1892)
L’auteur a la réputation d’être difficile. Ce n’est pas tout à fait le cas. C’est certes une lecture qui demande pas mal de concentration et d’attention, pour en tirer la substantifique moelle, et qui peut parfois s’attarder sur des détails qui auront du mal à rivaliser avec le suspense du dernier polar à la mode… Mais peut-être faut-il se décomplexer un rien vis-à-vis de ce cher Marcel. Outre tous les sujets dont traite la Recherche (et qui, comme l’a bien montré Alain de Botton dans Comment Proust peut changer votre vie, sont intemporels et utiles au quotidien), on oublie parfois de dire qu’il y a de l’humour dans la Recherche.
Prenez la petite bande des Verdurin. Les conversations et les attitudes des différents membres de ce petit groupe de mondains qui refusent la mondanité et jouent les mécènes sont d’une incroyable drôlerie. Même chose du discours de certains personnages : l’esprit terrien de Françoise, la gouvernante de Marcel, ou les moqueries bitchy des grandes aristocrates.
Et puis, pour ceux que les longueurs descriptives effrayent, pourquoi ne pas le dire haut et fort : oui, on a le droit de passer des lignes et des pages. Le parfum des aubépines n’est pas votre came préférée ? Passez. Les points de vue contrastés sur le clocher de Combray vous endorment ? Passez. Vous trouverez certainement d’autres nourritures dans la Recherche auxquelles vous pourrez vous accrocher et, comme moi, devenir complètement addict.
Objectif 2013 : continuez cette relecture passionnante. Et pour illustrer le tout, je m’accompagne du très beau Musée imaginaire de Marcel Proust, qui repend en images toutes les œuvres d’art évoquées dans la Recherche.


Références :

Vous avez l’embarras du choix mais, en ce qui concerne ce premier volume, l’édition Folio est tout à fait recommandable.
Le musée imaginaire de Marcel Proust, Eric KARPELES, traduit de l’anglais par Pierre Saint-Jean, Thames & Hudson, 2009.

17 commentaires:

  1. "le musée imaginaire" est un livre merveilleux, je le feuillette régulièrement - découvert il y a bien longtemps et reçu en cadeau, c'est dire s'il m'est doublement précieux :)
    quant à "la recherche", 2013 sera l'année de sa relecture ou ne sera pas

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  2. Mon aussi j'ai ressenti le besoin cette année de relire quelques uns de mes classiques. Proust n'en fait pas partie. De lui, je n'ai lu que Le temps retrouvé à l'époque où j'étais à la fac. Pas malin de commencer par le dernier tome de la recherche mais c'était une lecture obligatoire et je n'ai pas ressenti l'envie de lire les autres.
    Un jour peut-être...

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    1. Je ne suis pas certain que cela soit très ennuyeux de découvrir l'auteur par ce volume-là.
      Et j'aurais du ajouter dans mon billet: tout comme on a le droit de passer des pages, on a aussi le droit de ne pas aimer! ;-)

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  3. Le musée imaginaire est génial comme idée! Lu bien sûr, comme la série de La recherche (et même relu, mais là je ne cherche même pas à me soigner). Je suis ravie de ton billet, bien sûr!
    Le De Botton est aussi sur mes étagères, tiens tiens, le relire;.. ^_^

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    1. Ne cherche pas à te soigner, surtout pas! MARCEL POWER!

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  4. Proust ... de la littérature brute ... c'est tellement juste ! Je me souviens avoir couru acheté le deuxième après avoir dévoré le premier. Puis avoir tout enchainé la Recherche, comme un consommé de drôleries matinée d'intelligence, une image décapante d'un snobisme qui fait mouche ( les Verdurins ...),et tant d'autres pages ( Charlus en bourdon tournant autour de sa proie). Puis, relire tranquillement. Tu as bien raison, se décomplexer et se laisser aller à ne pas se coucher de bonne heure. Je ne connaissais pas le " Musée imaginaire", ça tombe bien, c'est bientôt Noël.

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    1. Ou alors, se coucher de bonne heure, avec un volume de la "Recherche"...
      "Le Musée imaginaire": très bon choix pour Noël!

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  5. J'ai commencé à équiper ma bibliothèque des premiers volumes de "La recherche...", mais je n'ai pas encore osé m'y attaquer.
    Un jour viendra... et puisque tu nous autorises à sauter les passages éventuellement rébarbatifs !

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    1. C'est étrange de voir comment une certaine représentation de la culture et de la littérature a donné de Proust une image d'auteur "difficile" et qui fait peur. Il faut mettre ça de côté et l'aborder comme n'importe quel autre auteur. Si en plus tu es déjà "équipée"...

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  6. c'est vraiment un livre que je n'ai pas envie de lire... (et apparemment je suis la seule !) pourtant j'avais commencé à l'écouter, avec la voix d'André Dussolier, et c'était magique !
    Si je devais continuer, ça serait avec cette voix là et donc via cette voie (pour ne pas utiliser le mot "voix" à tort et à travers ;-))

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    1. J'ai aussi ce premier tome lu par Dussolier. Il amène une légèreté évidente au texte, ce qui devrait rassurer. Mais il n'a pas enregistré toute La Recherche (voir commentaire ci-dessous).

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  7. Proust ne me quitte jamais très longtemps. J'y reviens sans cesse et en ce moment c'est avec les voix de André Dussolier et de Lambert Wilson que je retourne à lui. J'en goûte d'ailleurs davantage l'humour de cette façon! C'est très agréable! Je vais maintenant me procurer le livre de Alain de Botton et le Musée imaginaire que je ne connais pas encore. On n'en finit jamais de découvrir Proust d'une façon ou d'une autre! :)

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    1. Dussolier et Wilson; il y a pire comme compagnie...
      On n'en finit jamais, c'est certain.

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  8. Souvenir impérissable d'université en 2e candi pour un cours de Raymond Trousson: 3 mois pour lire la Recherche et faire un travail (pour moi: la musique dans l'oeuvre). Je n'aurais sans doute jamais tout lu sans cela et ç'aurait été vraiment dommage.
    Il y a déjà quelques temps que je guigne le Musée Imaginaire que j'avais vu à Orsay. J'avais acheté, il y a bien 20 ans, un volume de photos contemporaine sur les lieux de la Recherche et il y a aussi, qui m'attire beaucoup,"Le Monde de Proust vu par Paul Nadar" de Anne-Marie Bernard

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    1. Je note les références, merci du conseil.
      Trois mois pour lire toute la Recherche... Tu penses que je pourrais obtenir un congé proustien à la CF?

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  9. Très beau billet! J'ai de belles éditions de Marcel Proust mais elles m'intimident, j'ai laissé plusieurs fois tombé mais là je dois m'accrocher je me suis inscrite à une lecture commune pour lire A l'Ombre des jeunes filles en fleur. Je reviendrai sur ton blog. Il me plait bien

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