18 mars 2012

Le roman de la cruauté

Le seigneur des porcheries, Tristan EGOLF

Un roman-monstre, féroce, drôle et désespéré. À lire d’urgence.

Baker, petite ville du Midwest, un trou perdu, un concentré d’humanité en décrépitude. Orphelin de père, le jeune John Kaltenbrunner n’a qu’une obsession : redonner vie à la ferme familiale, élever des animaux et se construire, loin des autres, une vie paisible à l’abri de la bêtise qui gangrène ses concitoyens. Alors qu’il est doué d’une intelligence peu commune, il souffre de devoir fréquenter l’école où son étrangeté fait de lui une cible de choix. Rien ne compte plus pour lui que de mener à bien son entreprise agricole. Mais les malheurs vont s’abattre sur lui à un rythme effréné, anéantissant tous ses espoirs. Dans le cœur de l’enfant devenu adulte, des blessures au fer rouge, des colères rentrées. Et pour les habitants de Baker, le début d’une saga qui mettra la petite communauté à feu et à sang.
Mais qui est John Kaltenbrunner ? D’où venait-il et comment en est-il arrivé à être désigné comme le responsable du cataclysme qui a bouleversé le quotidien sinistre des habitants de Baker ? Le narrateur du roman reprend et déconstruit les légendes, recoupe les témoignages pour édifier l’épopée, la geste de ce gamin au destin singulier. Un enfant finalement trop bon, trop intelligent pour cette communauté de bigots et d’alcooliques marqués dans leurs gènes par la consanguinité. À l’image des tonnes de déchets qui s’entassent dans la ville au moment de la grève des éboueurs, le pouvoir de John sur ses contemporains est certainement celui de mettre en lumière ce qu’il y a de plus mauvais en chacun d’eux : la cruauté, la laideur et la jalousie. La violence contenue dans ce roman fascine et effraie à la fois. Dans une esthétique et un style préférant l’abondance, l’exagération, le burlesque à la retenue, Egolf malmène l’image du rêve américain et nous tend un miroir révélant une humanité crasseuse où l’innocence n’a pas sa place. Figure expiatoire, bouc émissaire sacrifié au nom de la bêtise, John est à la fois victime et agent de la destruction, du chaos. Le seigneur des porcheries, roman-monstre, tantôt drôle tantôt désespéré, laisse le lecteur comme hébété par sa puissance romanesque. Un roman qui rappelle, dans ses ambitions, les idées d’Artaud sur le théâtre de la cruauté ou encore la folie de La conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole.
Une lecture qui m’a marqué et qui, à première vue, n’a pas encore eu les faveurs de la blogosphère (Ingannmic avait aussi beaucoup aimé).

Référence :

Le seigneur des porcheries – Le temps venu de tuer le veau gras et d’armer les justes, Tristan EGOLF, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Rémy Lambrechts, Gallimard, Folio, 2011.

10 commentaires:

  1. Voilà une critique qui fait plaisir (et merci pour le lien) !
    En revanche, j'ai en ce qui me concerne été beaucoup moins enthousiasmée par La conjuration des imbéciles, dont le début me semblait prometteur mais qui finit par tourner en rond.

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    1. Avec plaisir (pour le lien)! Sur le Kennedy Toole, tu as raison mais cela ne m'avait pas du tout ennuyé.
      Je ne l'ai pas noté dans le billet mais ces deux auteurs ont mis fin à leur vie vers les 30 ans.

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  2. Exagération et burlesque... non merci, pas pour moi. Pourtant, le "pitch" semblait prometteur.

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  3. Bonjour,
    Une note vraiment juste pour un roman pas vraiment facile à présenter. J'ai adoré ce roman, mais ne me suis pas lancée dans une note, donc, c'est bien de le retrouver ici, ce "roman monstre" pas vraiment saisissable, mais puissant, drôle, violent, déstabilisant , un truc ovni mais à lire justement parce que complètement romanesque, déjanté, du vrai bon bouquin ! Par contre, "La conjuration des imbéciles" je suis passée à côté. Mais c'est vrai que le rapprochement entre les deux oeuvres est souvent fait.
    Athalie

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    1. "Du vrai bon bouquin". C'est exactement ce que j'avais en tête pendant ma lecture. Je suis vraiment déçu de ne pas l'avoir vu plus sur les blogs (ce n'est d'ailleurs pas là que j'en ai entendu parler).

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  4. Bonjour,

    Voilà un livre comme je les aime: des histoires de petites gens dans l'Amérique profonde. Le troisième roman de Egolf, Kornwolf est dans la même vaine.

    A bientôt!

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    1. J'avais repéré "Kornwolf" mais je vais encore laisser décanter celui-ci....

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  5. Oh, comme c'est curieux, j'avais justement très très envie de le relire. Il m'avait aussi scotchée, la première fois. Un terroriste flamboyant mais noir, à rapprocher personnage de "Ruines-de-Rome" de Sengès, roman lui aussi très recommandable.

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